La princesse
Qu’elle soit un vase fragile dans son donjon protégée par le héros ou "une féministe tentant de se frayer un chemin dans un monde d’hommes", les princesses sont toujours jolies et fades (oui, même si elles sont « fortes » et « n’ont pas leur langue dans leur poche »). Et si vous essayez une princesse moche, pour changer ? Ça devrait rafraîchir radicalement l’intrigue !
En vrai, la réalité dépassait généralement la plupart des romans de fantasy, voire était beaucoup, beaucoup plus intéressante. Il y avait des princesses moches, jolies, normales, jeunes, vieilles, intelligentes, stupides, gentilles, méchantes, brillantes, incompétentes… Il y en avait même qui n'étaient pas du tout intéressées par le job, comme Mme Elizabeth, la petite soeur de Louis XVI.
On attendait d’elles deux choses contradictoires :
1- être jolies, féminines, pondre des gosses etc…
2- faire avancer la cause politique de leur pays auprès du roi ou prince qu’elles épousaient. C’est là que ça devient intéressant. À partir du 18ème elles recevaient une formation digne d’un diplomate (plusieurs langues dont latin, voire grec, conversation pour soutirer subtilement des confidences, histoire, géo…). Marie-Antoinette était, paraît-il une vraie cancre.
Enfin, elles étaient quand même de futures reines et se devaient de se former un minimum.
Et les princesses voyaient du pays ! Anne de Kiev, la mère de Philippe-Auguste vint de Kiev, comme son nom l’indique. Imaginez Kiev-Paris à l’époque, avec des coffres d'or (il y avait une dot), des étapes de 20km/j, les brigands, les petits seigneurs locaux qui ne crachaient pas sur le pillage et les prises d’otages ou les petites guerres de voisinage ! L’une de ses épouses, Ingeborg du Danemark vint, elle, du Danemark. La rincesse chinoise Kukachin qui fut accompagnée par Marco Polo mit 2 ans pour aller de son pays en Perse.
J’ajoute qu’à l’arrivée, il pouvait y avoir d’autres péripéties : le fiancé pouvait être mort, remplacé par un autre, ou pire, avoir changé d’avis, comme ce fus le cas pour Ingeborg. Après quoi il fallait s'intégrer dans son pays d'adoption, sa belle-famille, changer de langue, voire de religion... Et que faire si votre pays d'origine et de mariage se retrouvaient en guerre?
Une vraie quête initiatique sans épée ni cristal magique.
Les paysans
La plupart des héros de fantasy sont des nobles, des guerriers, des sorciers ou des marginaux. Les paysans servent généralement de figurants. Chair à se faire massacrer, serviteurs, masses obtuses, superstitieuses et parfois violentes sans individualisme ni relief… parfois se détache un garçon mignon ou une jolie fille. Parfois les parents adoptifs du héros avant qu’il ne découvre qu’il est fils de roi…
Vu qu’il formaient 80-90% de la population jusqu’à la Révolution Industrielle (encore 30% en France en 1960) ils méritent un traitement un peu moins tarte, non ?
Comme dans toute société humaine, il y avait : des révoltés, des résignés, des sceptiques, des imbéciles, des salauds, des sages, des qui partaient à l’aventure défricher un bout de forêt, des qui profitaient de la guerre et du désordre ambiant pour fausser compagnie à leur seigneur (cf. la guerre de 100 ans) des qui partaient à la ville lors de la morte saison (les savoyards), des réfugiés qui fuyaient les combats, des émigrés (les danois en Russie) des qui investissaient dans les nouvelles technologies et les nouvelles cultures (pomme de terre), des qui apprenaient à gérer leur terre comme une entreprise, des cultivateurs et des éleveurs, bref, des gens qui vivaient des aventures et avaient pas mal des choses à raconter. Des gens qui chassaient, pêchaient, braconnaient et fraudaient (pensez au trafic de sel).
Dans les contes traditionnels, il y a autant de paysans que de princes parmi les héros (le Petit Poucet, Jack le Tueur de Géants, le Petit Chaperon Rouge...). Mais de nos jours, c'est vrai que personne ne lit les contes traditionnels. On lit la version désinfectée façon Disney.
Enfin votre paysan, il vit où ? Au flanc d’une montagne ? Dans une oasis au milieu du désert ? Est-ce un serf ou un homme libre ? Bref, de quoi écrire des tonnes de récits plus originaux que la quête du chevalier, la princesse, le dragon, le mage etc…
Les marchands
Comme je l'ai dit plus haut, il n'y en a que pour les guerriers, les mages et les marginaux. Le marchand est, la plupart du temps, un avare, gros, sournois, lâche, conservateur et finalement pas très futé.
Je n'ai jamais compris ce point de vue, à fortiori de la part des auteurs britanniques ("a nation of shopkeepers") et des américains (là, une nation de businessmen). Mais bon, les gens seraient ennuyeux sans leurs petites contradictions.
Si on prend le Moyen-âge européen, les marchands, surtout les grands, savaient lire et écrire, parlaient plusieurs langues, avaient des notions de géographie à une époque où la plupart des gens ne quittaient pas leurs village, Bref, ils étaient beaucoup plus proche de nous qu’un seigneur féodal !
Ils voyageaient loin. Pensez à Marco Polo. Les Vikings étaient aussi des marchands. Les marchands prenaient la peine d’écrire les récits de leurs aventures, tracer des cartes. Ils pouvaient converser avec les rares intellos de l'époque. Ils se lançaient dans le capital-risque (les marchands-aventuriers) inventaient l'assurance et bien sur, connaissaient le crédit bancaire (oui, je sais...). Ils sponsorisaient les artistes et les inventeurs. Que serait la Renaissance sans les Médicis?
Malgré tout ça, ou à cause, ils étaient souvent méprisés par les nobles, même lorsque ces derniers étaient moins instruits et moins riches qu'eux.
Enfin, ce n'était pas un job de tous repos. Outre les attaques sur votre navire/caravane/convoi, le cambriolage de votre entrepôt/boutique/domicile et les droits de douane à la tête du client, vous pouviez avoir l'insigne honneur d'être convoqué par le roi pour lui "prêter" de l'argent, une offre que vous ne pouviez refuser (là, on dirait un épisode du Trône de Fer). Si le roi était un peu pressé, il pouvait simplement vous confisquer vos économies, voire vous mettre à mort sous un prétexte quelconque.
Bon, c'est sûr que ça tranche sur l'image gauchiste primaire du gros plein de soupe profiteur. Rien ne vous empêche d'en faire un profiteur ou même de le faire gros (pas trop quand même, comment va-t-il voyager?), mais c'était quelqu'un avec une éducation, qui savait prendre des risques, avait des journées de travail bien remplies et était loin d'être naïf.
Bref, en gentil ou en méchant, un personnage en or.
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