Ls Clichés cachés: post-apo et dystopies

Ces romans ont la particularité de se situer dans le domaine des possibles, donc c'est encore de la science-fiction. Nombre d'auteurs se servent de ce type de roman pour exposer leur vision de la société, de la nature humaine, des rapports entre les gens, du futur qui nous attend etc... Pour le postapo, les virus semblent avoir supplanté les catastrophes nucléaires (en plus, ça abîme moins le paysage et permet aux survivants de repartir dans une nature idyllique). Pour les dystopies, pas de surprise, les sociétés oppressives pullulent, mais plus de type communiste. En fait, on se demande souvent comment elles survivent, vu que personne ne semble y produire les éléments de base tels que la nourriture. Une vision typique de l'auteur citadin occidental pour qui ces choses apparaissent par magie au supermarché du coin.

 

Une épidémie vient de détruire toute la population mondiale, quelques survivants essayent de tout reconstruire

Si vous allez sur le site d'une librairie SFFF anglophone, vous verrez des dizaines de bouquins de ce genre se faire concurrence. Peut-être verrons-nous cette vogue arriver bientôt en France. En attendant, ils attirent quasiment tous les mêmes critiques. Je passe sur le fait que toutes les histoires ont lieu aux US et que le premier réflexe des survivants semble être de s'entretuer. Si vous voulez échapper aux clichés du genre, voilà quelques remarques.

- Si vous perdiez en l'espace de quelques semaines/jours/heures/minutes votre famille, vos amis, votre job, vos moyens d'existence et en général tout ce qui fait votre vie, il vous faudra des années pour vous en remettre. Demandez à un rescapé d'une guerre quelconque, il n'en manque pas en ce moment. Non, vous ne vous chercherez pas tout de suite une copine si la vôtre est morte il y a six mois dans des souffrances atroces. Vous chercherez peut-être un soutien moral, mais ce n'est pas le même genre de sentiment. Bref, votre héros optimiste, plein d'allant et toujours en train de rigoler est à revoir. Sinon, choisissez un héros qui était marginal et socialement désinséré au départ.

- Renseignez-vous un minimum sur le fonctionnement des infrastructures dans le pays où se situe votre histoire: électricité (tiens et les centrales nucléaires, elles parviennent vraiment à se fermer toutes seules, sans le moindre accident s'il n'y a plus de technicien?), gaz, téléphone, circuit de distribution d'eau, de nourriture, germes, rats... et savez-vous que l'essence finit par se décomposer au fil des mois?

- Paradoxalement, dans nombre de romans postapo, les heros sont toujours a la recherche de nourriture, mais jamais d'eau potable. Imaginez ce qui se passerait en l'espace de quelques jours s'il n'y avait plus d'eau de robinet dans une grande ville!

- Les gens qui on le plus de chances de survivre à une épidémie planétaire ne sont pas ceux qui habitent une grande ville, mais une village isolé avec peu de contacts avec l'extérieur: une secte d'illuminés, des Inuits sur leur banquise, les habitants d'une île perdue du Pacifique... Et si vous êtes un groupe de pygmées chasseurs-cueilleurs au fin-fond du Congo, avez-vous autant besoin d’électricité ou d'essence? Bref, vous pouvez revoir sérieusement votre intrigue: le futur de l'Humanité ne sera pas assuré par des New-Yorkais éduqués et idéalistes, qui vont fonder une société idéale, mais par une bande de ploucs du fin fond de la cambrousse.

- Pour finir, le petit groupe de survivants comporte généralement une seule femme, au maximum deux. Vous croyez qu'elles parviendront à faire combien d'enfants pour assurer la génération suivante?

 

Dans une société futuriste, les grandes multinationales dominent le monde et la majorité de la population vit dans la misère. Les classes moyennes ont disparu.

D'abord, il faut décider s'il existe toujours une concurrence entre compagnies ou non. Y a-t-il un marché noir ou une économie parallèle (genre ebay, le bon coin, objets volés, ou copies pirates pas chères)? Si oui, quelle est sa taille?

Et surtout, avez-vous réellement besoin d'une paire de baskets de la marque X? Du dernier portable Y? Du sac à main Z? Si vous avez à peine de quoi vous acheter à manger, vous croyez qu'ils vous intéresseront toujours autant? Alors si la population vit dans la vraie misère, qui va acheter ces produits et amener des profits à ces compagnies? Une petite élite de riches? Vos multinationales vont subir une sacrée cure d'amaigrissement. Ce serait le retour à une économie de type première moitié du 19ème siècle. Rien de neuf, en somme.

Maintenant, imaginez que votre grande compagnie ne fabrique pas des objets aussi futiles que des baskets multicolores, mais possède un monopole sur quelque chose de vraiment vital, disons l'eau ou l'oxygène (comme dans la première version du film "Total Recall") ou un système de dépollution, une source d'énergie, de nourriture... Là, vous avez une situation vraiment intéressante...

Enfin, imaginez que votre compagnie possède un monopole sur quelque chose qui n'est pas vital, mais qui est perçu comme tel par la population: par exemple une drogue qui permet de rester euphorique même quand vous êtes dans la misère!

Bref, s'il s'imagine des pauvres mourant de faim qui vont s'acheter des baskets dernier cri, c'est que l'auteur est lui-même conditionné par notre société d'abondance.

Moralité: si vous vous lancez dans ce genre de dystopie, vous allez devoir vous renseigner un minimum sur le fonctionnement d'une économie/société (oui, encore se documenter!) et utiliser votre gros bon sens.

 

La société futuriste où une petite élite vit dans le luxe, pendant que le reste vit dans une mégapole polluée, dans des conditions dignes du Moyen-âge.

Encore un cliché à la mode, reflet de revendications sociales diverses.

En ce début de 21ème siècle, on discute sérieusement de ce qui forme la base de notre quotidien: d'où vient notre nourriture? Notre électricité? Notre essence? Alors imaginer une société futuriste sans se poser ces questions, je suis désolée, mais ça fait limite ringard.

Bref, d'où vient la nourriture? qui cultive les champs? Quel intérêt y a-t-il pour un pauvre de vivre dans une grande cité polluée, bourrée de crime et de drogue? Ne serait-il pas plus intéressant pour lui de se cultiver un lopin de terre à la campagne? Si la réponse est "non", pourquoi?

Du temps de Métropolis, dont une photo sert d'illustration à cet article, on imaginait les masses opprimées contraintes de trimer pour les élites. En ce moment, c'est plutôt l'inverse: on imagine que ces pauvres opprimés seront tous des chômeurs. Vous n'échapperez pas aux considération socio-économiques: votre société a-t-elle une économie de marché? Si oui, qui achète et quoi et à quel prix? Seulement les élites? Les robots ont-ils remplacé les hommes? Et si oui, un chômeur désespéré ne reviendrait-il pas moins cher qu'un robot, finalement?

Si vos élites sont vraiment toutes-puissantes et pourries, pourquoi tolèrent-elles cette masse de chômeurs inutiles? Pourquoi ne les ont-elles pas déjà éliminés grâce à une technique de destruction massive quelconque?

Enfin, dernière considération: si vos pauvres vivent vraiment comme au Moyen-âge, le problème de surpopulation sera très vite réglé "naturellement" par quelques épidémies et des famines! D'ailleurs, vous êtes-vous déjà amusés à estimer le nombre d'individus que compte votre société dystopique?

D'autre part, la réaction des pauvres de ce genre de roman ressemble beaucoup trop à celle de l'idée qu'on se fait des pauvres d'un pays occidental moderne: le désespoir ou l'indignation. La personne passerait ses journées à se lamenter. Or, quelqu'un qui aurait vécu dans ces conditions depuis plusieurs générations, les considérerait comme normales. Il ne passerait pas son temps à se lamenter et il lui arriverait même d'être heureux et de rigoler. Les gens qui habitent vraiment les bidonvilles du Tiers Monde ne passent pas leur journées à se plaindre, ils sont trop occupés à travailler, chercher du travail, s'occuper de leur famille, ou même papoter avec les copains!

Celà veut aussi dire qu'il sera beaucoup moins facile qu'on ne le croit de les amener à se révolter de façon "constructive" (ça a pris combien de temps de passer d'une monarchie absolue à une république, en France?).

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Comments: 3
  • #1

    Yves (Sunday, 11 December 2016 12:44)

    Bonjour,
    Merci pour cet article qui vient illuminer ma route de romancier en herbe.
    Que de bonnes questions posées, qui méritent des réponses bien réfléchies.
    Je m'essaie, depuis bientôt deux ans, à l'écriture d'un roman entre SF et Anticipation, dans lequel les personnages vivent dans une certaine mesure, une aventure "dystopique". Je réalise depuis un certain temps à quel point écrire un roman dont les événements se produisent dans un avenir plus ou moins proche, et dans lequel la vie sur Terre a été grandement modifiée, est un vrai défi...et cet article ne fait que me le confirmer.
    Allé... hop, au boulot :)
    Yves

  • #2

    Alex Evans (Sunday, 11 December 2016 19:39)

    Je suis contente que l'article ait pu vous être utile. C'est vrai qu'écrire de la SF demande beaucoup de documentation!

  • #3

    Grianne (Thursday, 04 July 2024 09:42)

    Je trouve qu'on a tendance à projeter sa vision du monde, du bonheur, de la valeur de la vie, etc., sur autrui, surtout chez les occidentaux privilégiés, à faire des autres, quels qu'ils soient, de perpétuelles victimes à sauver, au final à les réduire à notre mauvaise conscience. On postule aussi des indépassables, à savoir que les multinationales sont immortelles même en cas d'apocalypse zombie, que l'épanouissement passe forcément par la consommation et le luxe matériel, que tout autre système serait un enfer absolu. Pareil, on considère souvent que les animaux voire les plantes réfléchissent comme des humains ou plutôt une certaine humanité.