Les peuples ont le gouvernement qu’ils méritent.
Montesquieu
"Quel rapport entre romance et politique?" me direz-vous. Ben c’est simple : la littérature populaire a toujours reflété la mentalité de son époque. Ce n’est peut-être pas évident sur le moment, mais rétrospectivement, une cinquantaine d’années plus tard, c’est très clair. Que seraient les années 60 sans leurs romans d’espionnage sur fond de Guerre Froide ? En traduisant « Les Enfants de la Nuit » de Robert Howard, j'ai trouvé frappant de voir à quel point ce texte fait écho au nazisme, alors même que l’auteur était un américain pur jus.
De nos jours, la littérature populaire reflète surtout des préoccupations individuelles. Il ne s’agit pas de combattre pour un pays ou une cause, mais pour soi ou au mieux quelques personnes. Le champ d’action s’est rétréci : une ville familière plutôt que des voyages exotiques. Bien souvent, les héros cherchent simplement à sauver leur peau ou protéger la société. Pas de militant écologiste affrontant une multinationale pour un bout de jungle. Quant aux défenseurs des opprimés genre Zorro ou Thierry la Fronde, ils n’ont carrément plus la cote. Il n’y a guère encore qu’en Fantasy qu’on trouve (parfois) un protagoniste prêt à sauver le monde.
Aussi, lorsque j’ai vu la déferlante de clones qui a suivi « 50 Shades of Grey », j’ai pensé que c’était le reflet de quelque chose de beaucoup plus sombre. Et croyez-moi, certains clones américains à succès étaient bien plus gratinés que l’original : séquestrations, viols collectifs, tortures dignes d’un régime totalitaire, les auteures se sont lancées dans la surenchère. Et pourquoi pas ? Cela avait du succès et rapportait de l’argent.
« Ce ne sont que des fantasmes ! » me direz-vous. Seulement lorsque des millions de gens ont le même fantasme, ça devient une norme sociale. Et surtout, qui peut bien avoir ce genre de fantasme ? Ben à voir le nombre de lectrices, tout le monde. Les amatrices de ce genre d’histoire fantasment sur un retour en arrière, où elles retrouveraient la sécurité des quatre murs de leur cuisine, ou alors se retrouveraient carrément enchaînées à un lit douillet, laissant tout le reste à un homme, riche de préférence. Vous ne trouvez-pas que le futur président,Outre-Atlantique, ressemble beaucoup au héros de « 50 Shades of Grey », en moins jeune et moins sexy ? Non, je ne crois pas à une quelconque théorie du complot. Je ne pense pas que EL James ait envoyé un message subliminal à des millions de lectrices en vue des élections. Je pense que EL James est une fille très intelligente ou très intuitive qui a remarquablement bien saisi l’air du temps et ce, avant tout le monde.
Car je sais maintenant ce que reflète, à sa manière, cette vague sadomaso : le fantasme d’un retour en arrière, tout simplement. N’est-ce pas ce qui se passe partout ? Les Britanniques veulent s’éloigner du Continent, les Américains veulent revenir au bon vieux temps des années cinquante (les Français aussi, sans doute). Et comme ces millions de lectrices de romance, les millions d’occidentaux fantasment qu’un homme fort et viril règlera pour eux une série de problèmes incroyablement complexes. Le fait que les ténors du Brexit aient justement filé à l’anglaise dès qu’ils se sont retrouvés au pied du mur ne semble avoir refroidi personne. J’espère, sans trop y croire que les Occidentaux ne fantasmeront pas trop longtemps : s’ils rêvent de retourner en arrière, le reste du monde, lui, rêve d’aller en avant, et il ira, avec ou sans eux.
Et nous autres, auteurs, dans tout ça ? Ben l’enseignement à en tirer est qu’il faut vraiment faire gaffe à ce que l’on écrit. Robert Howard n’aurait jamais pensé être critiqué pour des textes comme « Les Enfants de la nuit », « La Pierre noire » ou l’inachevé « Dernier homme blanc » ! Que nous lancions une tendance, comme EL James ou l’amplifions, comme ses clones, non seulement nous avons une certaine influence sur la mentalité de nos lecteurs, mais nos écrits ont la fâcheuse habitude à rester, voire même nous survivre. Comment expliquerez-vous vos textes à vos petits-enfants ? « Mais ce n’est qu’un tout petit roman de rien du tout ! » direz-vous. Hélas, les petits ruisseaux font les grandes rivières et les votes de quelques tout petits individus peuvent changer une élection.
Moralité : n’écrivez ce genre de chose que si vous y croyez vraiment. Vous aurez au moins le mérite de la franchise. Sinon, il va falloir écrire sur un autre sujet. Lequel ? Ben si vous êtes un écrivain, vous êtes en quelque sorte un pro de l’imagination. Alors à vous de trouver.
Encore une dernière romance sadomaso pour la route ?
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ghaan écrivain indé (Thursday, 24 November 2016 22:48)
Mouais... il y a de ça t'as raison. En fait, au delà du sexe contrain c'est surtout le fantasme de l'homme riche et dominateur que ce desir de retour en arrière donne vie (bref le SP ou PN par excellence). Donc j'ai la moitié de ma réponse je pense. Merci beaucoup déjà car la moitié de la réponse c'est déjà énorme! ! Mais il me semble qu'il y a autre chose. Le fantasme du sexe contraint va un peu plus loin ( pas que le viol, je pense aux contrats, aux filles qui se vendent etvc). Peut être les femmes ont elles besoin d'une excuse pour avoir des pratiques sexuelles plus débridées ( c'est pas moi c'est ce contrat ). Les femmes sont encore trop frustrées et n'assument pas l'envie je sais pas moi : du sexe à plusieurs (fantasme de la tournante), de la débauche à longueur de journée (l'histoire de ces filles séquestrées à qui ont fait l'amour toute la journée), du viol... là je sèche. Peut être un fantasme de bad boy détourné. Je sais pas. Enfin c'est que des théories. ..