Spécial Halloween: La magie au Moyen-âge 1: les trois magies
La magie ! Voilà un vaste sujet que je ne ferai que survoler. Mais un auteur de fantasy a besoin d'avoir une vague idée de son histoire, en particulier pour comprendre les systèmes de pensée qui ont sous-tendu diverses croyances. Cet article fait suite à celui de l’année dernière :
Si on lit les romans et bon nombre d’articles qui fleurissent en ce moment, on pourrait croire qu’au Moyen-âge, la magie était bannie, abhorrée, clandestine, presque une forme de contestation politique et religieuse. Que nenni !
D’abord, n’oublions pas que le dit Moyen-âge européen s’étend de 476 à 1492 et de l’Islande à l’Oural. Ça inclut les Grandes Invasions! Ensuite, une bonne partie de l'Europe resta officiellement ou de fait, païenne jusqu’à tard. (les Lithuaniens jusqu'au 14ème siècle, les Scandinaves et nombre de Russes jusqu'au 12ème).
Enfin, il faut savoir ce qu'on appelle "magie" : si on la définit comme un ensemble de croyances et de pratiques liées au surnaturel mais pas directement à la religion, elle fut non seulement pratiquée jusqu’à la Renaissance, mais parmi ses plus grands adeptes, on trouve nombre de moines! Simplement, ces derniers appelaient « magie » les pratiques qu’ils réprouvaient et « alchimie », « magie blanche », « sciences de la natures », etc…, celles qu’ils aimaient.
À partir de là, on peut distinguer trois types de magie :
1- La « vieille magie », rurale, héritée du paganisme, pratiquée par le citoyen ordinaire, c’est-à-dire le paysan. Comme sa transmission était orale et les druides, gothi, volkhvs et autres prêtres païens avaient disparu, il n'en restait que des bribes, des traditions, des superstitions qui n'étaient plus étayées par les anciens systèmes de pensée, voire qui s’adaptaient au christianisme. Le culte des ancêtres devint celui des esprits domestiques. Le loup, symbole du guerrier et du courage devient le monstre des contes. Cette magie va également incorporer des éléments de la nouvelle religion : recettes de potion aux hosties, à l’eau bénites, aux cierges, rituels à pratiquer lors de certaines fêtes religieuses (qui, ne l’oublions pas, ont souvent lieux à la même date que d’anciennes fêtes païennes)…
Cette dérive se voit surtout en Europe de l'Ouest et du Sud. Au Nord et à l'Est, des pans entiers de croyances vont rester préservés jusqu'au 19ème siècle, car les chasses aux sorcières y seront beaucoup plus rares.
C'est précisément cette magie des masses pauvres et illettrées, incapables de dresser des argumentaires sophistiqués, qui va majoritairement s'attirer les foudres de l'Église.
2- La « nouvelle magie », chrétienne que l’Eglise va tenter, avec peine, à substituer à l’ancienne : médailles bénites, croix, reliques, cierges, rituels d’exorcisme, bénédiction du bétail, des récoltes, prières et messes spéciales pour toute occasion…
L’un des amulettes les plus populaires chez les gens avec un peu d'argent remonte à l'Égypte ancienne: le phylactère, un pendentif contenant une feuille de parchemin avec une prière, un passage de la Bible…Leur préparation va non seulement amener un complément de revenu à nombre de religieux, mais des fabricants laïcs, avec pignon sur rue vont apparaître. Ainsi que des vendeurs de vraies et fausses reliques, de médailles bénites… Business is business. Enfin, parmi les plus gros consommateurs de phylactères, on trouvait… les gens d'Église.
Ne vous imaginez pas que tout cela allait de soi. Il y avait régulièrement des débats féroces entre ecclésiastiques pour savoir si ces pratiques relevaient de la magie (et donc, de l'idolâtrie) ou de la religion. Pouvait-on faire une messe pour les vaches, comme le faisaient les anciens païens ? Amener un cierge béni pour protéger sa maison n’était-il pas brader la puissance de la foi ? Qu’est-ce qui différencie une relique d’origine douteuse ou une médaille bénite d’un talisman ? les gens qui utilisaient ces objets chrétiens le faisaient-ils parce qu'ils croyaient en la force propre de ces objets (auquel cas, c'était de l'idolâtrie) ou parce qu'ils avaient foi en la puissance de Dieu dont ces objets n'étaient que des symboles? Dans ce dernier cas, pourquoi avaient-ils besoin de ces symboles matériels alors que la foi et la prière suffisaient ?
Les religieux étaient bien conscients qu'il y avait là un aspect peu orthodoxe. Seulement ils ne pouvaient aller contre des millénaires de tradition qui étaient, de plus, soutenus par une bonne partie de leurs collègues. En fait, même les détracteurs de ces pratiques ne semblent pas contester en bloc leur efficacité. Simplement, tenter de se prémunir contre le mauvais sort leur apparaissait comme un signe de rébellion contre la volonté divine. Refuser d'avoir recours à la magie, surtout en période de crise, était presque une affirmation politique/religieuse en soi : vous vous en remettiez entièrement à la volonté de Dieu !
De nombreux conclaves débattront sur le sujet et publieront des avis d'expert qui ne sont pas sans rappeler ceux qu'on a pu voir sur des sujets aussi difficiles que l'euthanasie ou la GPA ces dernières années. Même des souverains vont s'en mêler: Charlemagne interdira le port de phylactères, mais sans aucun succès. La question, pour un européen du Moyen-âge, était en effet très sérieuse: il en allait de son accès au Paradis. Il ne fallait pas qu'il se retrouve en Enfer ou au Purgatoire pour une simple erreur d'interprétation des dogmes !
3- La « magie des intellectuels »: l’alchimie. À la fois science, philosophie et religion, elle remonte à l'Antiquité et sera l’ancêtre de la physique, de la chimie, voire de la biologie. Elle n'arrive en Europe qu'assez tard, avec les traductions de livres arabes au 12ème siècle. Un paradoxe de plus: la plupart des alchimistes médiévaux sont des moines ! Si son but ultime est « la transmutation » du plomb en or, symboliquement son but est de transformer l'ignorance en connaissance absolue. Un vaste programme !
L’une des éléments qui apparait le plus proche du « raisonnement scientifique » pour le lecteur moderne, est la tendance à tout classer par catégories et chercher des correspondances, même si pour nous, elles peuvent paraître parfaitement saugrenues. C'est ainsi qu'on va associer des étoiles à des signes du zodiaque, des pierres précieuses, des nombres, des éléments, des métaux, des parties du corps, des animaux, des plantes, des émotions, des heures de la journée, des jours de la semaine et des périodes de l'année.
Il reste des traces de ces associations encore aujourd'hui. Par exemple, la planète Vénus est associée au signe de la Balance, à l'amour et l'harmonie, l'eau, le "phlegme", le vendredi, le cuivre, les lombes, les colombes, le matin, les mûres et l'émeraude. Ainsi, d'après le raisonnement d'un alchimiste, tout sortilège, philtre d'amour (ou traitement pour une lombalgie!) se devait d'être réalisé un vendredi matin et impliquer du cuivre ou de l'eau, des colombes… à moins que ce ne fut le mot "Vénus" écrit sur un parchemin.
De la même façon, les alchimistes tentèrent de définir différentes catégories de magie (présages, transmutation, possession, etc…).
Si les Orientaux furent célèbres pour s’être lancés dans l’expérimentation et avoir utilisé l'alchimie pour résoudre des problèmes pratiques, les Européens, eux, étaient d’avis que toute recette ou rituel devait être respecté à la lettre, sous peine d’être inefficace. Comme en plus, les rituels étaient très compliqués et ne pouvaient être réalisés qu’au jour et à l’heure propices, ils n’envisageaient pas de prendre de risques. Parfois même, le secret était-il une condition impérieuse pour le succès d’un sortilège, ce qui bien sûr, attirait la suspicion. Enfin, aux planètes, pierres et autres éléments, virent s’ajouter une longue liste de démons et d’anges sortis de textes juifs ou musulmans. De quoi rendre perplexes nombre d'ecclésiastiques. Cependant, ils ne pouvaient tout de même pas bruler leurs collègues en masse sur un bucher !
Aussi, pour rester dans l’orthodoxie religieuse, on tenta de faire une classification de plus. On distingua la magie blanche, licite, faite avec de bonnes intentions et usant des forces de la nature (crée par Dieu) et des présages envoyés par Dieu en personne et le reste (en particulier les références aux anges et démons divers, la « magie noire »). De ce point de vue, les potions, associées à des prières étaient licites pour guérir une maladie, mais pas un talisman contenant le nom d'un ange, par exemple. Bien sur, cette distinction fut l’objet de nombreux coupages de cheveux, débats et opinions tranchées. Bref, la magie, c'était fun !
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